Deuxième journée
Grève de bus et tranchefile
La deuxième journée commence. Après une grève de bus obligeant mon amie à venir me chercher, car je n’arrive pas à trouver un covoiturage pour me mener jusqu’à elle, on retrouve mon petit pavé. Et on attaque une petite étape qui rajoute une jolie finition, la tranchefile (tu as vu, j’ai retenu le mot, sans doute parce que tu l’avais marqué en énorme sur une feuille). Elle prend un petit cordon, puis un morceau de papier qui est trop beau (tout bleu avec des vagues argentées, autant dire que ça correspondait parfaitement à l’esprit du livre et que j’étais excitée comme une puce en le voyant).
Elle mesure, prépare le papier en le découpant, l’enduisant de colle puis elle finit de plier le tissu autour en le formant bien à l’aide de son plioir (dans mon métier, c’est comme ça que ça s’appelle, on verra incessamment sous peu si ça porte le même nom dans le sien). Et elle passe au signet.
C’est bien un plioir dans notre corps de métier aussi ! Je n’ai pas grand-chose à ajouter sur les étapes étant donné qu’Elina l’a très bien fait. Mais bon tant qu’à être là, petite note sur la tranchefile : Elle se place sur la mousseline, après le signet s’il y en a un comme ici, et avant l’apprêture du dos (une étape qui par conséquent arrive bientôt). Vous pouvez en voir des mécaniques (broderies mécaniques) sur beaucoup de reliés industriels ou semi-industriel. Si elle est décorative à l’heure actuelle, la tranchefile était, en tout premier lieu, un renfort sur la reliure. Ici, elle est en papier, elle peut être en cuir, elle est à l’origine brodée ou faite de lanières de cuir entrelacées. Les premières reliures étant beaucoup plus imposantes et avec des matériaux plus lourds que ceux utilisés aujourd’hui (les plats cartons étaient en bois, les pages en parchemins — on parle ici de peaux tannées à la chaux —…). Ce qui fait qu’en les sortant des bibliothèques, les dos pouvaient s’abîmer très vite en les prenant par le haut, par la coiffe. La tranchefile était alors une broderie/un tressage qui renforçait la coiffe et préservait le livre. Avec le temps, les livres se sont faits plus petits et les artisans les ont utilisés plus comme décors que comme renfort.



Je note que j’ai oublié ce petit moment où, la veille, nous sommes allées en speed acheter du ruban argenté afin de faire ce petit marque-page intégré au livre que je voulais absolument. Avec moi, au milieu du magasin, qui me demandait si j’en prenais uniquement pour les dix exemplaires que nous allions réaliser pour ce tome, ou si j’en prenais pour l’intégralité de tous les tomes prévus. Et Nam Stram Gram qui me répond d’un ton laconique et empreint de sagesse : « Tu ne vas pas te balader avec quinze mètres de ruban, on en trouvera toujours de l’argenté. ». Effectivement, elle n’a pas forcément tort !
Et donc, arrive le moment où Pause Reliure mesure la longueur du signet nécessaire, le coupe, puis le colle avant de mettre la tranchefile. Mes yeux se plissent de joie parce qu’on se rapproche peu à peu du livre final. On ajoute des détails qui font toute la différence, des finitions qui font que, pour moi, l’ouvrage est absolument exceptionnel sa race.
Orage et… séchage ?
Puis, elle colle du papier sur le dos, je n’ai pas beaucoup mis ce passage sur Instagram, mais j’ai fait quelques photos perso. Elle met de l’épaisseur, m’explique que c’est pour le poncer ensuite. Et lorsqu’elle est enfin satisfaite de l’épaisseur qu’elle a, il faut attendre que le tout soit bien sec. Il y a, au même moment, un superbe orage à l’extérieur de l’atelier. On le laisse de côté, ayant d’autres impératifs de prévus, nous allons le retrouver le lendemain, pas trop le choix !
Je vous l’avais dit, en reliure il y a des temps de séchage. Et quand on a un aussi bel orage, l’attente est plus longue… l’humidité de l’air et la fraîcheur n’aide pas au séchage. Cette étape de pose de papier sur le dos, c’est la fameuse apprêture de couvrure. J’apprête le dos à être couvert, comme son nom l’indique. Le but, autre que de renforcer un peu plus le dos en soutien à la mousseline, c’est de faire disparaître toute irrégularité du dos. Il ne faut plus que l’on puisse voir et deviner l’emplacement des rubans, des points de chaînette, etc. Car tout se verra une fois la couvrure faite ! Autre l’aspect esthétique d’un dos bien lisse et régulier dans sa forme, c’est aussi important pour la dorure. Un dos avec des reliefs sera plus difficile à dorer.
En attendant que ça sèche, je la vois découper la toile qui servira pour la couverture. On approche doucement de ce moment, même si j’ai du mal à le réaliser. Puis nous repartons vaquer à d’autres activités avant de nous quitter jusqu’au lendemain, qui sera le dernier jour de travail dessus. Du moins, pour le moment ! Car il faut également faire les plaques de dorure, et trouver une entreprise qui les fabrique. Mais avec moult déterminations, Pause Reliure a réussi à trouver une entreprise française ! Nous savons donc qu’une partie de la journée du lendemain sera consacrée à l’approfondissement de ce détail non négligeable qu’est le design de la plaque. Je ne pensais pas que ça serait aussi compliqué pour moi lorsque je me suis couchée le soir.
