Sani†arium

Une pluie diluvienne s’abattait avec violence sur le sol d’asphalte. Les lumières du parking éclairaient à peine la zone tellement la nuit noire obscurcissait l’espace. Une odeur de terre mouillée, couplée à celle plus chimique de l’hôpital dans son dos, emplissait ses narines d’un rassurant effluve familier. Mais il n’en avait que faire. Sa foulée était déterminée, ses chaussures claquaient sur la route qui menait au véhicule bleu. D’une main légèrement tremblante, il déverrouilla la voiture et grimpa dedans.

Le son des gouttes résonnait contre la carcasse métallique, mais celui-ci était le plus doux des dérangements tandis qu’il allumait les phares, bouclant sa ceinture en même temps. Le moteur ronronna lorsqu’il finit de tourner la clé dans son contact, puis il fit une marche arrière afin de quitter la place. La lumière éclaira brièvement le parking entouré de grillage, avec la mention « Réservé au personnel », et les doigts de l’homme tapotèrent sur le clavier de son téléphone portable.

Il savait que ce n’était peut-être pas très prudent, mais sa découverte était tellement énorme qu’il ne pouvait s’empêcher de la communiquer à celle qui partageait sa vie. Cependant, la tonalité résonna dans le vide, et il tomba sur la boîte vocale. Ses yeux parcouraient rapidement la sortie du complexe, alors que sa paume libre tenait tant bien que mal le volant.

— Tu ne le croiras pas, j’ai trouvé la réponse ! Toutes ces années… j’aurais dû la voir ! Le reste, je te raconterai quand je rentrerai. Je t’aime.

Il raccrocha d’une main fébrile qui retourna sur le volant juste après avoir lancé un CD dans le poste radio. Il connaissait ces routes de montagne par cœur, même l’orage qui grondait et la visibilité réduite ne lui faisaient pas peur. Une mélodie légèrement rythmée le poussa à appuyer sur la pédale d’accélérateur.

Son attention se posa une seconde sur le rétroviseur central où il pouvait voir disparaître les grands bâtiments. L’hôpital ne lui manquerait pas ce soir. Il distinguait encore quelques lumières dans les différents étages, peut-être que d’autres personnes étaient toujours présentes entre ses murs. Mais peu lui importait.

Le bitume était gras et glissait légèrement sous ses pneus, il pouvait le sentir. Mais il était bien trop excité, l’adrénaline coulait à flots dans son cerveau, et il voyait les éclairs comme des guides pour lui montrer le chemin. Pas comme des avertissements. Ses paupières se plissaient, afin de mieux distinguer l’asphalte bordé d’une barrière de sécurité. Sans s’en rendre compte, il approchait de cent dix kilomètres par heure.

La nuit, le paysage n’était pas le même. Il reconnaissait bien ces différentes montagnes et leurs parois de pierre. Mais la falaise sombrait directement dans les ténèbres, si bien qu’il prêta à peine attention au virage indiqué par un panneau qui conseillait également de le prendre à trente.

Lorsqu’il dépassa un autre complexe plongé dans la pénombre, que seuls quelques éclairs dévoilaient par intermittence, il posa brièvement son regard dessus. La grande tour centrale, les divers bâtiments légèrement plus petits, anciens, qui témoignaient d’un passé sans doute plus sordide… il savait qu’il fallait arrêter d’accélérer. Il reconnaissait les lieux.

Son pied poussa le frein, mais le véhicule continua sur sa lancée. Merde! Il percuta la rambarde de sécurité qui le renvoya au milieu du chemin. Le stress remplaça bientôt son sentiment de bonheur, d’immortalité. Et il prit brutalement conscience de la situation.

Il était au beau milieu de la nuit. Dans des routes de montagne. Sous la pluie. Et avec une voiture lancée à plus de cent kilomètres par heure dont les freins paraissaient dysfonctionnels.

L’asphalte gras n’adhérait pas à ses pneus. Il tourna le volant de chaque côté, sans succès. L’arrière du véhicule partait dans toutes les directions et semblait irrattrapable. Son pied écrasa la pédale à de multiples reprises. Toujours sans résultats. Merde!

Une peur panique lui étreignit la poitrine. La route sinueuse virait, mais pas dans le sens qu’adoptait sa voiture. Il eut à peine l’occasion de voir la montagne à sa gauche… et la barrière se rapprocher dangereusement à droite.

Le temps parut s’arrêter, irréel. L’incompréhension le paralysa lorsque le pare-chocs fondit sur la rambarde, la brisant comme si elle était de carton.

Un cri résonna dans l’habitacle, quand il prit conscience qu’il était dans le vide, et plongeait dans les ténèbres aveugles. Il sentit qu’il chutait. Qu’il allait disparaître. Il repensa à sa femme qui l’attendait. À tout ce qu’il venait de découvrir. Tout ce qui devait arriver. Qui aurait dû arriver… Incapable de regarder la mort en face, il ferma les paupières lorsque le dernier éclair retentit. Comme s’il voulait lui montrer le sol avant qu’il ne le percute dans un affreux bruit de métal brisé.


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